vendredi 22 juin 2012

Willy il commence à prendre du poids, là

Bon, c’est bien gentil de parler de livres à tout bout de champ de blé qui germe en ce printemps qui s’achève, mais de temps à autres mes démons me reprennent et me manquent et les sujets de fond me titillent et me voici donc face à vous, les mains tendues paumes vers le haut, prêt à en découdre.

Car l’heure est grave.
Je dédramatise souvent, mais là quand même, plus rien ne va, et j’ai un peu de mal à me l’expliquer. Nous sommes en plein cercle vicieux de la tourmente des sorties et je vois bien sur le visage facebook de mes amis dessinateurs et scénaristes poindre le vent du doute des lendemains qui déchantent et des tignasses à l’envers. Apparemment, il serait de plus en plus difficile de signer un projet si l’on est pas un des ‘grands’ noms du milieu et si on partage pas une pantoufle avec Dufaux ou Corbeyran. Je n’en doute pas un instant. Mais quand même, ces éditeurs, ils ont une façon de fonctionner un peu particulière.

En gros, pour résumer, le marché du livre reste grosso modo le même à peu de choses près. On vend toujours autant de livres, sauf que dans le même temps, le nombre de sorties ne cesse d’augmenter jusqu’au ciel des arbres qui grimpent indéfiniment vers l’au-delà (à peu près 5 000 l’an passé en comptant les rééditions). Résultat, mathématiquement, ils vendent moins d’exemplaires par titres. Et comme dans le même temps chaque personne n’étend pas son argent de poche et son allocation loisirs, fatalement, des choix sont faits. Sauf que les éditeurs (je parle des gros hein, ceux qui ne se soucient pas toujours du boulot éditorial), eux, ils sont pas d’accord. Ils voudraient que chaque album dépasse les 10 000 exemplaires, que tout soit rentable, que leur logo soit visible partout (c’est bon pour l’ego et pour les subventions et pour faire pipi sur le voisin), et que les taux de retours passent enfin sous la barre des 50% sur les nouveautés. Et que dans le même temps le fonds continue de tourner comme avant. Je les comprends, je voudrais un petit peu la même chose s’il vous plait, avec des livres qui se mettent en pile tout seuls et des frais de port inexistants et de la poussière qui en vrai serait de l’or qui viendrait se nicher dans mes cheveux et illuminerait mes clients. Ça ce serait chouette.

Sauf que bah non. Super pas. La technique de l’hameçon jeté de ci de là en se disant qu’il y a bien quelque chose qui va marcher tout en continuant de chercher la recette magique du chaudron avec des pirates aux gros seins, c’est une technique éculée, une qui fonctionne pas, une que j’ai du mal à comprendre, une qui n’est viable pour personne.

Pas viable pour l’éditeur qui perd de l’argent en frais de distribution et de stockage.

Pas viable pour le libraire qui n’a pas toujours la tréso nécessaire pour supporter le flux de nouveautés (et qui ne sait pas bosser autrement et qui lui aussi pense que faire une pile de 10 suffira à en vendre autant même si le potentiel est deux fois moindre), ni la place sur les tables ou en facing, ni le temps de gérer toute la manutention inhérente (et du coup fait ses retours en retard).

Pas viable, surtout, pour les auteurs, qui se retrouvent avec des a valoir et des contrats ridicules qui couvrent à peine l’abonnement internet nécessaire à faire sa pub sur facebook. Il faut faire les albums vite (et parfois bien), travailler avec un max de pression, en faire deux dans l’année parce que vous comprenez, les lecteurs n’aiment pas attendre (c’est pas faux) et puis  vous comprenez, leur disent les éditeurs, les temps sont durs et blablabla .
Mouais. Les temps sont peut-être durs, mais ils sont quand même rentables, et les actionnaires récupèrent leur part du gâteau (qu’ils voudraient plus grosse, mais on en est tous là). Car oui, il y a un gâteau. Et il est beau et sent bon, jusqu’à ce qu’on tente d’y planter le couteau et qu’on se rende compte que c’est un peu rassis, tout ça, sous le glaçage et les bougies.

C’est sûrement un peu facile à dire, mais qu’on se concentre une bonne fois pour toutes sur un travail éditorial, qu’on réduise enfin le nombre de sorties (nombre de projets sont sortis dans la hâte et ne ressemblent à rien) avec vrai accompagnement des auteurs et qu’ils arrêtent d’avoir peur du voisin. En tant que libraires spécialisés, il ne faut pas aussi avoir peur de faire des coupures et de vraies impasses justifiées (tout en donnant sa chance au livre, hein, et en le lisant. ça se lit vite, une Bd, faut pas déconner, y'a moyen de lire toutes les nouveautés, c'est important).


Surtout que du point de vue du lecteur, la colline est jolie mais infranchissable. Et qu’il faut pas trop trop le prendre pour un con. L’acheteur, il a trop de choix. Du coup il aura tendance à attendre qu’une série soit terminée avant de la commencer, ou de la prendre en intégrale pas chère, vu que c’est ce qu’ont privilégié les éditeurs ces derniers temps, histoire de relancer leur fonds de manière originale (des as du marketing, parfois). Et pourquoi acheter un tome 1 si on n’est pas sûr qu’il y aura un jour une suite ? (la tactique de la balle dans le pied chère à Soleil). Il n’a tout simplement pas la place dans son budget pour des séries supplémentaires, et quand bien même, admettons qu’il en remarque une qui a l’air plutôt chouette car elle sort un peu du lot et qu’elle a un petit regard rieur derrière sa couverture, eh bien il passera vite à autre chose, pour la simple et bonne raison que cette bd, qui ne demandait qu’à avoir une seconde chance, est depuis belle lurette dans un sombre carton de retours stocké dans un camion sordide en direction d’un pilon peu accueillant.

Bref, parfois, tout ça, ça m’agace. Car il y a de quoi faire, et qu’on fonce droit dans le n’importe quoi. Le grand public restera le grand public (même si j’ai assez hâte de voir à quel point ils vont se planter avec la mise en place du prochain Titeuf), mais il y a à côté de ça toute une tripotée d’amateurs éclairés et ouverts qui ne demandent qu’à accueillir ces auteurs qui ont du mal à signer leurs projets sous prétexte que ceux d’avant se sont plantés (et à raison). Je ne crois pas des masses en la Bd participative (c’est mon côté snob, confirmé par ce qui en ressort), mais je me demande si l’avenir éditorial ne passerait pas par plus d’auto-édition affirmée et organisée. Sauf que les libraires ne suivront jamais. Car ils ont déjà bien trop de piles à faire et qu’à moins de 40% de remise avec retours libres même si y’a du chewing gum dans les livres, ça ne les intéresse pas.

Je suis inquiet, les loulous.
J’aimerais qu’on donne les moyens à tout le monde.
Et qu’ils se réveillent plutôt que de rejeter la faute sur une conjoncture abstraite.
Et j’aimerais un peu de glace à la pistache, aussi. Avançons un pas après l’autre.

lundi 18 juin 2012

Nuit Blanche avec le sourire

Parfois, la vie nous réserve des surprises. Ces petits accidents qui nous font sursauter et palpiter et nous font sourire au détour d’une coïncidence. Parfois, sans s’en rendre compte, on se réveille un jour et nous voici avec un crédit et une gonzesse sur le dos. Au début tout se passe bien, personne ne se bat pour la télécommande, il n’y a pas de télé dans la chambre, et du coup, c’est galipettes et compagnie dans la joie et la bonne humeur en attendant les oiseaux qui viendront tendre le linge dans le jardin en chantant une ritournelle pendant que le couple se rapproche et s’entrelace un peu tout ce qu’il est possible d’entrelacer. Après quelques années, l’amour s’étiole, c’est comme ça, c’est chimique, on n’y peut rien, faut s’y faire, mais plutôt que d’être pragmatiques et fatalistes, on préfère trouver une autre source d’amour au sein du couple (parce que quand même, on y a mis du temps et de l’énergie et c’est pas dit qu’on en retrouve un/une autre aussi chouette dans sa vie en attendant la crise de la quarantaine), et on décide, sur un coup de tête qu’on croit réfléchi, de se reproduire. Avant évidemment de mettre la télé dans la chambre car ça va cinq minutes, les galipettes avec tout le temps la même personne, surtout depuis qu’on a assisté à l’accouchement.

Maintenant que le gosse est fait en chair et en os, qu’il a aussi fait ses nuits et ses dents et ses cheveux et ses ongles et que sais je encore (j’en en pas sous la main, je sais pas trop comment ça marche ces machins. J’ai quelques souvenirs personnels, mais plutôt à partir de 4 ans, du coup là j’extrapole), qu’il marche et rigole et fait plus ses besoins n’importe où n’importe comment, eh bien il est temps de faire son éducation littéraire. En Bd, y’a pas grand-chose avant 7 ans, comme je l’avais déjà (fort bien) écrit sur le blog d’avant ma déchéance, quand je portais mon habit de lumière plutôt que ces haillons (d’argent), sorti de l’excellente collection BdKids et des Petits Poilus (et quelques autres chez les éditions La Gouttière, qu’il faut soutenir parce qu’elles font du chouette boulot).

Et soudain, voilà qu’il veut faire du foot si c’est un garçon ou du poney si c’est une fille alors que vous vous étiez juré qu’il ne ferait que du golf ou du tennis, histoire de rapporter un peu de sous dans la maisonnée, un retour sur investissement, un enfant ROI, en quelque sorte. Pas de doute, il vieillit et grandit et perd ses dents durement acquises lors des nuits de pleine lune (encore une fois, j’extrapole, mais j’imagine que c’est comme ça que ça se passe, vu les hurlements associés et l’air hagard des parents concernés) et fait du vélo sans les mains et veut un cartable spiderman comme ses copains (dans tes rêves coco, et rends toi utile un peu, va couper du bois) ou Hello kitty comme ses copines (dans tes rêves cocotte, tu récupèreras le Tan’s de ton père, c’est comme ça). C’est le signal. Il est temps de faire quelque chose. Eteindre la télé et la console (pardon, les télés et les consoles et les ordinateurs avant qu’il ne pirate votre compte facebook) et l’emmener d’urgence à la bibliothèque locale.

Et réclamer les ouvrages suivants : Les épatantes aventures de Jules, d’Emile Bravo. Bone, de Jeff Smith. Calvin et hobbes (mais ça normalement depuis le temps vous les avez en double, ou en triple si vous avez eu l’intelligence de les acheter en anglais pour préparer votre progéniture au rude environnement économique qui se profile, histoire qu’ils paient ma retraite) de Bill Watterson, et enfin Seuls, de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti. Rien que des séries intelligentes qui prennent pas nos mômes (enfin les vôtres, surtout, les miens sont éventuels et non reconnus) pour des loukoums prémâchés incapables de faire la différence entre le vrai et le faux Chocapic. Ils ont une cervelle, sous cette coupe atroce qui se veut à la mode et imposée par la cour de récré et les joueurs de foot, qui ne demande qu’à être titillée, libérant ainsi endorphines et autres fous rires, du genre qui vous permettent de faire de beaux rêves non parasités et qui vous font retrouver le chemin de la boîte de Legos la plus proche (oui, parfois je fais un peu des discours de vieux cons).

Rien que des livres qui seront lus, relus, mis en avant dans la bibliothèque, parfaits pour la sélection de votre douce moitié de dans 20 ans après. Car ce sont des lectures qui vous forment à jamais et vous ouvrent pour toujours, des lectures couperet et rédhibitoires, celles dont on sait que si elles ne sont pas partagées, c’est que c’est mal barré. Un peu comme si dans un couple, l’un préférait la VO et l’autre la VF (ce qui est un motif d’emprisonnement, d’ailleurs), l’un Céline Dion et l’autre Coltrane (je suis tolérant sur les goûts de mes congénères, mais il faut reconnaître certaines incompatibilités), l’un Kitano et l’autre Nora Ephron (je vous laisse chercher).

Oui, c’est un diktat. Mais c’est pour leur bien.  Et le vôtre.

dimanche 10 juin 2012

Life of J-C

Quand je veux impressionner un client (bon ok, généralement c’est une cliente. Mon côté sexiste Casanova de gouttière), je lui demande nonchalamment si au fait, tiens, tant qu’on est là, vous avez lu du Marc-Antoine Mathieu ? C’est un nom intrigant et ils sont donc intrigués et veulent en savoir plus plutôt que de bailler en regardant leur montre et en pensant au rôti de ce soir ou à la glace à la pistache qui les attend devant un film médiocre. C’est du gâchis dans la mesure où la glace à la pistache est faite pour être dégustée et non servir de prétexte pour passer le temps, mais bon, je vais pas commencer une tirade sur les habitudes alimentaires absurdes de mes concitoyens.

Il impressionne rien qu’avec ses pitchs (je suis sorti du domaine culinaire hein, je parle pas de brioches) et ses inventions visuelles, et quand j’explique que voyez-vous, Julius Corentin Acquefaques, c’est un peu le verlan de Kafka, je sens que la curiosité est piquée et que y’a plus qu’à mouliner le moulinet. La particularité de Marc-Antoine Mathieu, outre le fait de partager en partie le patronyme d’un mec qui s’est tapé Cléopâtre, c’est qu’il ne sort un album que s’il a une idée. Et une idée originale. Qui joue avec les codes de la bande dessinée. Et qui permet d’écrire des chroniques qui incluent l’expression ‘mise en abyme’, même si je suis pas toujours sûr que ce soit approprié, mais bon, peu importe, ça rend bien. Bon par contre, quand je montre la 2,333ème dimension, je dois rappeler que oui, c’est en partie en 3D, mais c’était avant la mode, n’allez pas croire, la ressortie de Titanic n’a rien à voir là dedans, laissons les cadavres sous l’eau, focalisons nous sur le vivant et l’abstrait et le noir et blanc qui lui va si bien, à ce Julius Corentin. Le Processus est l’album le plus foufou, celui qui m’a fait aimer la Bd (oui, ils sont nombreux  à m’avoir fait aimer la Bd, mais celui-là est particulièrement marquant). Prix du meilleur scénario en 1994, je fus intrigué, et comme en plus j’aime bien le jaune, j’ai foncé tête baissée. Et puf. Et paf. Et han. Et ah ouais quand même.
Qui sont précisément les réactions de mes clients quand ils se laissent tenter et reviennent peu de temps après. Parce que Le Processus, c’est de la Bd intelligente et maline, un paradoxe temporel évité, une boucle temporelle avérée, la preuve qu’il en faut peu pour que nos rouages s’enraient et qu’on se prenne les pieds dans notre tapis de rêves. Avec en prime un vortex super classe découpé dans le papier. Je me demande depuis si je serais pas, par hasard, un personnage de bande dessinée. Ça expliquerait beaucoup de choses. Le scénariste fait un peu dans la facilité du quotidien par moment et devrait faire preuve d’un peu plus de capacités à manier l’ellipse (le quotidien peut être un peu chiant, parfois, surtout quand le cour est bâché), mais dans l’ensemble il s’en sort pas trop mal. Côté dessin, je me trouve réussi. Faudrait juste songer à arrêter de donner des coups de gomme sur ma calvitie naissante. Merci.  

Tout ça pour dire que monsieur Mathieu est un auteur à part qui me donne un air intelligent qui est purement factice. Ce pour quoi je l’en remercie. Le factice, j’en fais mon affaire.

dimanche 3 juin 2012

Cinco de mayo

Allez, on se prépare petit à petit et en douceur pour les lectures d’été (j’aime bien les lectures d’été, ne serait-ce parce que pendant 2 mois je ne touche pas à une seule Bd), et je récupère surtout de ci de là des romans de la rentrée à venir (et de celle de janvier dernier), histoire de me tenir un peu au courant de ce qui existe dans le paysage littéraire florissant loin des romans qui ont déjà fait leurs preuves.

The sense of an ending (Barnes) : C’est vraiment super chouette. Un petit côté Jonhatan Coe de rien du tout (j'ai un peu tendance à le voir partout dès que y'a un peu d'humour au sein d'une situation du quotidien), mais en tout cas on s’amuse et c’est très bien écrit comme toujours avec Barnes.

L’odeur de la haine (Wilocks) : un polar carcéral qui trainait sur ma pile depuis des années. Efficace dans le genre (et je dis ça sans que ce soit péjoratif).

Sur la route (Kerouac) : alors oui, c’est un peu le livre à la mode, mais je voulais surtout découvrir le rouleau original d’un côté, et une vraie bonne traduction de l’autre. Parce que bon, l’ancienne version est un peu laborieuse, quand même. En tout cas, il mérite pleinement son statut de grand classique littéraire, beat génération ou non, d’ailleurs, et il donne envie de partir faire du stop avec son balluchon et sa loutre sous le bras tout en goûtant aux joies des drogues psychotropes.

L’escalier de Jack (Cagnard) : bon j’en parle maintenant, mais celui-ci ne sort qu’à la rentrée. Et quel roman dites donc, quel roman ! Il fait directement écho à celui-ci-dessus, mais je n’en dirai pas trop pour ne pas tout dévoiler. En tout cas, le style est maitrisé (et écrire à la deuxième personne du pluriel aurait pu vite me gonfler, c’est dire) et certaines fulgurances dans le texte viennent étayer ma démonstration brillante. A ne pas rater dès que ça sort.

La répétition (Catton) : là aussi c’est maitrisé, notamment au niveau de la construction qui est plutôt originale. Bon après, c’est un roman compliqué à conseiller, mais j’ai beaucoup apprécié son coté psychologique.

Gagner la guerre (Jaworski) : han mais comment que c’est trop bien, Gagner la guerre. De l’aventure, de la vraie, avec de la gouaille et des tripes, des situations détonantes et un personnage atypique (mais super fort quand même, même s’il s’en prend plein la gueule). Pour tous les amateurs de fantasy bien écrite (allez, on va dire que c’est de la fantasy, vu que ça se passe à une époque et dans un pays imaginaires, mais c’est tout ce qu’il y a de plus réaliste, façon intrigues de cours) qui cherchent un univers original dans lequel plonger pendant de longues pages ( 1 000 pour la version poche).

La voleuse de livres (Zusak) : ouais allez, c’est mignon, la voleuse de livres. J’aurais dû le lire à 12 ans. Depuis, sur le sujet, d’autres livres m’ont autrement plus marqué. Et pour cause.

La petite terreur de Glimmerdal (Parr) : roman jeunesse sympa comme tout, avec une petite fille de 9 ans qui fait du bobsleigh dans les rues d’un village où aucun autre enfant n’est toléré et qui a pour meilleur ami un vieil homme acariâtre qui a prénommé sa fille Heidi….